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29 septembre 2011 4 29 /09 /septembre /2011 19:40

(Ceci est une histoire vraie.)

(Pourquoi je vous le précise ?! Comme si je racontais des mensonges sur mon blog hin hin hin... )

 

Plantons tout d'abord le décor !

 

J'étais là :

 

DSC01592.JPG

 

Pas exactement le même banc car les photos n'ont pas été prises aujourd'hui, mais plus tôt dans le mois; par contre c'était quasiment - et ça je vous l'assure - le même temps :

 

DSC01593.JPG

 

(Ici, on peut voir l'Oustau de Prouvenco, bâtiment implanté dans le Parc Jourdan. Ou orthographe similaire, je ne maîtrise pas le parler provençal. C'est une école - musée du provençal; je ne fais que passer devant pour le moment.)

 

Aujourd'hui, peu avant midi.

 

J'étais en train de finir de lire le dernier acte de Nathan der Weise, oeuvre maîtresse de G. E. Lessing, philosophe allemand de l'Aufklärung. J'avais hâte, il ne me restait plus qu'une page. Une femme d'un certain âge survient alors de ma gauche...

 

- Qu'est-ce que vous lisez, jeune fille ?

 

Je lui réponds, lui montre le petit livre jaune, lui explique que c'est en allemand, pour mes études. La discussion est lancée.

Cette vieille dame me confie sa vie, des bribes d'existence, des morceaux jaillisant d'un passé, loin, loin de mon présent à moi, ce passé qu'il m'aurait été impossible de connaître, elle m'en dévoile un horizon.

 

Elle est fille de diplomate, née au Maroc, mais d'origine corse. Son père, elle l'a suivi dans ses voyages. La grippe espagnole, qui faisait des ravages en son temps, elle y a survécu. Elle avait alors deux ans et demi, et dans sa famille, elle fut le seul bébé à ne pas en dépérir. Elle raconte qu'enfant déjà, on lui prédisait qu'elle serait bilingue. Aujourd'hui, elle était plutôt fière d'annoncer qu'elle maîtrise cinq langues.

 

- Mais pas l'allemand, ah non, pas l'allemand. J'ai eu une gouvernante allemande, et quand je n'étais pas sage, elle me donnait la fessée, alors en signe de rébellion, je n'ai jamais appris sa langue !

 

(Sur le devant de sa veste, pourtant, un pins placé bien en évidence : les drapeaux de la France et de l'Allemagne. Elle ne m'en parle pas mais je le vois. Ca me fait sourire. Aurait-elle joué un rôle dans les relations diplomatiques franco-allemandes, que cela ne m'étonnerait pas le moins du monde.)

 

Elle a aussi été en Australie. En son temps, elle découvre que les colonisateurs français, on ne les incitait pas à faire des études. Surtout les femmes, qui passaient par conséquent pour des idiotes. Alors elle s'est battu pour faire bouger ce genre de choses. Elles les formaient pour les examens, mais se rendant compte qu'il y avait toujours des "attrape-nigauds" dans les énoncés, elle enseignait ces attrape-nigauds, et rien d'autres. Et ses éléves obtenaient les examens...

 

Pendant la guerre, en France, elle a participé à la libération de Marseille, et d'Aix-en-Provence. Tous les hommes, pourtant, étaient enrôlés dans les armées. Mon inconnue au passionnant passé a donc fédéré les femmes restées en ville, et ces villes furent libérées.

 

De Winston Churchill, elle était la confidente. Peut-être pas la seule, mais elle avait sa confiance. Elle le rencontrait, le conseillait. Elle ajoute, humble : "Même après sa mort, je n'ai jamais trahi Churchill. Ce qu'il me disait, je le gardais pour moi, toujours. Encore maintenant."

 

Elle raconte qu'à la libération d'Aix-en-Provence, les Aixois ont été très gentils avec elle. Ils lui ont trouvé un endroit où dormir, de quoi manger. Elle s'y est plu. Depuis quand a-t-elle décidé d'y vivre, je ne sais pas. Combien d'années transporte-t-elle ainsi, goûtant à présent une apparente vie de douce tranquillité, une retraite amplement méritée ? Je ne saurais l'estimer.

 

Une dernière histoire, toute pleine de tendresse, avant de continuer sa promenade :

 

- Le Maire d'Aix-en-Provence, ici, il voulait bâtir des maisons, vous savez... Mais moi je lui ai dit, ne faites pas cela, il y a une école à côté, pensez aux enfants. De quoi ont-ils besoin ? De l'oxygène, d'espaces pour jouer, pour se détendre... Et il a fait le parc Jourdan...

 

- Le plus beau parc de toute la ville.

 

- C'est vrai. Il y a d'autres parcs de l'autre côté de la ville. Plus petits, moins jolis. Les gens, là-bas, ils pensent que ça leur appartient, qu'ils en sont les maîtres. Vous croyez seulement qu'on y voit les enfants jouer ?

 

Sur une dernière note d'humour, la petite vieille prend congé :

 

- A mon âge, on ne peut plus vraiment draguer. *rires* Alors je suis bien contente que vous m'ayez répondu, mademoiselle. Passez une bonne journée !

 

Et elle s'en va, digne, anonyme, et je reste un moment à la suivre du regard, pour tacher de ne pas oublier cette fugace apparition, cette conversation presque solennelle, d'une inconnue qui a vécu à une autre inconnue qui a encore tant à vivre, dans ce parc Jourdan dont elle peut être fière, le plus grand parc d'Aix-en-Provence, à proximité de toutes les facultés, de la gare, du centre-ville, et qui permet tant, aux petits comme aux grands. A moi comme à des dizaines de milliers d'autres. Cette femme, elle mériterait d'avoir son nom dans ce parc. Voire sa propre statue.

 

 

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Présentation

  • : Journal d'une Germanophile
  • : Jeune Française partie à 20 ans travailler en Allemagne comme Fremdsprachassistentin en Bavière, j'étudie depuis l'allemand et plus encore l'interculturalité franco-allemande à Aix-en-Provence, Berlin et Tübingen. Ce blog survit pour faire partager mes coups de coeur, de gueule parfois, mon quotidien surtout, mes voyages, mes espoirs et mes doutes...
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